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L'expérience occulte

nouvelle extrait du recueil Les chroniques martiennes

1. Souvenirs

Olympie regardait par la fenêtre de son appartement les habitants de Galactic Island qui vaquaient à leurs occupations quotidiennes. Depuis qu'elle avait appris le matin même que sa fille Ariane attendait un heureux événement, elle n'arrêtait pas de songer à la naissance étrange de cette dernière 23 ans plus tôt, le 08 avril 2578.

Olympie avait fait partie d'un programme expérimental dans le cadre de la transgénèse. Une technique consistant à introduire dans un organisme vivant un gène qui lui est étranger pour lui conférer une nouvelle propriété qu'il transmettrait à sa descendance. À cette époque, Olympie était libérée de toute obligation, elle venait en effet de perdre son travail au New British Muséum, une galerie abritant une précieuse collection de météorites martiennes. Par manque de fonds, du personnel avait dû être licencié. Cette expérience s'était alors révélée être une aubaine pour Olympie qui se retrouvait sans un sou. Les participants recevaient en effet, à la fin de cette campagne d'essais, une belle somme d'argent s'élevant à 200 000 néodollars, à la seule condition de laisser leur progéniture aux mains de la science. Les personnes impliquées par ce programme étaient liées par le secret avec la formelle interdiction de divulguer quoi que ce soit sur les procédés du centre de recherche de Galactic Island. Olympie avait donné un an de son existence au profit de la science, une année durant laquelle elle avait subit toute une série d'analyses et de tests pour mettre au monde un enfant génétiquement modifié.

Ariane, sa fille, appartenait à ces humains mutants qui s'étaient vus implanter un gène d'origine porcine pour les rendre plus résistants aux virus qui faisaient à nouveau des ravages sur Terre et sur Mars. Le virus Ébola et la variole que l'on avait enfin éradiqués de la surface de la Terre faisaient leur retour, encore plus virulents qu'au XXIème siècle. Le professeur Pierre Stocker, virologue et manipulateur génétique, songea qu'il était urgent de faire quelque chose contre ces virus pernicieux qui décimaient la population martienne et terrienne. Ce qui le décida à accomplir ce projet, ce fut l'apparition du virus Tharsis le long de la chaîne martienne Tharsis Montes en 2575. Après de longues et laborieuses recherches durant des années, il avait, pensait-il, enfin trouvé un gène chez le porc qui semblait résister aux attaques virales. C'est ainsi que l'idée lui était venue d'implanter ces gènes dans un organisme humain. Il connaissait les risques d'une telle expérience mais pensait que cela en valait la peine et que les volontaires étaient au final généreusement rétribués.

Ses patientes devaient toutes être âgées de 25 à 35 ans, n'avoir aucun antécédent médical et pas d'attache familiale. D'une certaine façon, le professeur Pierre Stocker louait leur corps pour pouvoir effectuer une manipulation génétique sur un embryon qui se retrouvait hébergé dans l'organisme de ces femmes s'étant portées volontaires. Olympie était donc l'une de ces cents patientes qui avaient suivi le programme.

Olympie se souvint qu'on lui avait formellement interdit, après la naissance d'Ariane, de la voir. On la lui avait arrachée des mains sans qu'elle puisse contester. C'était l'une des conditions de ce programme : laisser le mutant aux mains de la science. Durant deux ans, Olympie n'eut donc aucune nouvelle de ce bébé qu'elle avait mis au monde. Puis, un jour, l'institut de recherche la contacta pour lui proposer de voir sa petite fille si elle le souhaitait. Quand Olympie apprit que l'enfant qu'elle n'avait jamais connu était une fille du nom d'Ariane, elle se mit à pleurer d'émotion et ne put résister à cette envie qui la poussait à aller voir sa petite fille. Olympie ne savait même pas si cette dernière était en bonne santé, on lui avait simplement dit par téléphone qu'elle avait l'autorisation de la voir.
Le lendemain, elle se rendit donc à l'institut de Galactic Island où on la fit entrer dans un département hautement surveillé et dont l'accès était limité au personnel du laboratoire. Elle pénétra dans une immense chambre qui ressemblait à une salle de jeux pour les petits, avec des murs recouverts d'images du système solaire. Mars, la planète mère, dominait au premier plan, suivie de la Lune colonisée deux siècles plus tôt et de la Terre qui avait été laissée en arrière-plan, comme si cette planète était une planète oubliée, ce qui était d'une certaine façon la réalité. Il régnait en effet entre Mars et la Terre une animosité grandissante depuis plus de quatre siècles. Les deux planètes se livraient une guerre froide depuis que Mars avait été colonisée en 2122. Mais les échanges de technologie continuaient à se faire grâce à Nemésis, une station-laboratoire située en zone neutre.

Olympie fut accueillie par Pierre Stocker lui-même. Il lui fit traverser un long couloir aboutissant à son bureau. Il ne perdit pas de temps en propos sans intérêt et entra dans le vif du sujet :

— Je vous ai fait venir car nous avons pratiqué, durant ces deux dernières années, de nombreux tests sur Ariane. Et il semblerait qu'à ce jour, il n'y ait aucune contre-indication pour qu'elle quitte enfin l'enceinte de cet établissement.

Olympie le regarda, les sourcils froncés. Elle ne comprenait pas vraiment où il voulait en venir.

— Que voulez-vous dire au juste ? demanda-t-elle perplexe.

— Vous pouvez tout simplement reprendre votre fille si vous le souhaitez. Nous avons étudié chaque cellule de son organisme et Ariane est en excellente santé. Je dirais même qu'elle est l'une de nos rares patientes qui ait aussi bien toléré cette modification génétique.

— Je peux donc la reprendre ?! répéta-t-elle d'une voix tremblante.

— Oui, tout à fait.

— Et en contrepartie, qu'attendez-vous de moi ? Car je suppose qu'il y a un « mais ».

— C'est vrai, reconnut le professeur. Ce n'est presque rien. Nous vous demandons seulement de nous la ramener une fois par an à l'institut pour lui faire subir la série de tests habituels et nous assurer de sa bonne santé.

— Je vois... Je peux l'emmener tout de suite ? fit Olympie émue.

— Bien sûr ! Une fois que vous aurez lu et signé tous ces papiers, Ariane sera déclarée officiellement comme étant votre fille. Il vous faudra seulement respecter les règles de ce contrat.

Des larmes de joie sillonnèrent les joues d'Olympie. Elle pensait qu'elle rêvait. Elle n'avait jamais cessé de penser à ce petit être qui avait grandi dans son ventre durant neuf mois. La première fois où elle avait senti un petit coup de pied, elle avait été fortement émue. Elle l'était encore plus à ce moment où elle allait enfin vivre une vraie vie de mère.

Olympie se remémorait chaque détail des premiers instants qu'elle avait passé en compagnie de son bébé. Alors qu'elle était plongée dans ses souvenirs, l'arrivée impromptue d'Ariane la sortit de sa torpeur.

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