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Le début d'une nouvelle ère

 

 

 

 

 

1. Le réveil

    En ouvrant les yeux, l'esprit confus, Abel a une sensation étrange, l'impression d'avoir dormi une éternité. Ses jambes sont engourdies, il a la tête prise dans un étau et la gorge sèche. En balayant la pièce d'un regard circulaire, son front se creuse de rides. L'inquiétude assombrit son regard à la vue d'appareils étranges.
L'une des parois est en effet recouverte d'écrans géants qui lancent des signaux sonores par intermittence, tandis que des machines animées de témoins lumineux encerclent Abel. En voulant se redresser, Abel s'aperçoit que son bras gauche est relié à l'une des machines par un fin tuyau transparent dans lequel se déverse au compte-gouttes un liquide jaune translucide. Un poste de contrôle près de la fenêtre retransmet, sur un support en quartz, une image haute définition des organes d’Abel ainsi que son circuit sanguin et lymphatique.
    Chaque partie de son organisme semble contrôlé minutieusement, Abel se demande pourquoi. Cet appareil étrange emmagasine toutes les informations relatives au corps humain, détectant le plus petit dysfonctionnement. Il est capable de déceler les signes avant-coureurs d'une maladie avant même qu'elle ne se déclare, avertissant ainsi le personnel de toute anomalie par un signal sonore et lumineux.
    Ce dernier se met à fonctionner au moment où Abel tente de se redresser, le tétanisant sur place : il ne comprend pas ce qu'il se passe. Il est pétrifié par cette alarme stridente perçant ses tympans. Il a l'impression d'être dans la quatrième dimension. Le caisson aux parois transparentes dans lequel il repose, l'angoisse. L'idée que son corps ne lui appartient plus, qu'il est au service de la technologie et de la science lui paraît inconcevable. Il cherche en vain dans sa mémoire la façon dont il est parvenu ici, mais aucun souvenir ne remonte à la surface. C'est le trou noir, un grand vide comme si les données de son cerveau avaient été effacées.
Le vacarme que fait la machine quand il tente de bouger appelle l'attention de deux femmes en combinaison stérile blanche, qui surgissent de derrière une porte coulissante se fondant dans le décor de la paroi latérale.
    Abel tourne la tête et observe les deux visiteuses d'un regard où percent la perplexité et le désarroi. Il voit la plus petite des deux se diriger vers l'appareil central qui dirige apparemment toutes les commandes, tandis que la seconde lui enlève une perfusion qui lui déverse un liquide jaune dans les veines. Au moment où il veut ouvrir la bouche pour s'informer de son état, une autre femme aux cheveux auburn se présente à lui. Son visage est rongé par l'inquiétude. Elle fixe Abel, tourmentée. Pourquoi une telle anxiété ?

— Abel ! Tu es enfin réveillé ! Si tu savais depuis combien de temps j'attends ce miracle ! s'esclaffe-t-elle d'un air attendri.

    Abel la dévisage, les yeux écarquillés. Elle ressemble beaucoup à Lauren, sa sœur jumelle, mais en beaucoup plus âgée. Cette femme a le teint terne, des traits marqués par l'âge et une silhouette enrobée. Est-elle une de ses parentes éloignées dont sa mère ne fait jamais mention ? Pourquoi se préoccupe-t-elle de son état ? Il ne la connaît pas en dépit de ses traits en apparence familiers !
Abel ne sait que penser. Elle va peut-être lui donner un semblant d'explication à son séjour dans ce lieu incongru.

— Comment te sens-tu ? lui demande-t-elle d'un air contrit.

    Il la regarde sans mot dire, dans l'incapacité de parler, cette situation le paralyse. Il a besoin d'éclaircissements avant de se montrer conciliant. Parler avec des inconnus n'est pas dans ses habitudes même si cette personne semble faire partie de la famille. Il sait qu'elle n'est pas Lauren malgré ses traits similaires.

— Nous allons faire un bilan complet de son état de santé ! fait l'homme en blouse blanche en s'adressant aux deux femmes vêtues d'une combinaison. Notre patient est bien réveillé désormais, il ne semble plus courir aucun danger, mais nous devons nous assurer qu'aucun de ses organes n'est endommagé, explique-t-il en se tournant vers la femme aux cheveux auburn qui acquiesce d'un signe de tête.

    Abel n'aime pas cette façon qu'on a de l'écarter de la conversation comme s'il n'était qu'un simple objet soumis à toute une série d'expériences. Pourquoi ne s'adresse-t-on pas à lui directement ? Il est apte à comprendre toute situation, aussi pénible puisse-t-elle être ! se dit-il. « Bon sang, de bonsoir, je suis là ! Vous ne pouvez pas m'ignorer ainsi ! »

— Abel, fait la femme aux cheveux auburn en prenant un ton grave, ce que je vais te dire va probablement te bouleverser. Elle marque une pause et poursuit, hésitante. Te souviens-tu des raisons pour lesquelles tu te trouves dans ce caisson en verre ?

Abel décline d'un signe de tête. Il déglutit péniblement, sentant que cette femme va lui annoncer quelque chose de très important et probablement de grave.

— Ne sois pas si inquiet, Abel !... je suis ta sœur..., Lauren, tu es en sécurité avec moi ! continue-t-elle en lui souriant.

    Abel sent une migraine se presser derrière ses yeux tel un orage. Cette femme lui ment, c'est une usurpatrice d'identité qui essaye de se faire passer pour sa sœur. Il n'y tient plus et se décide à parler.

— Vous ne pouvez pas être ma sœur ! dit-il d'une voix rauque et mal assurée. Lauren a à peine trente ans . . . alors que vous, vous en paraissez soixante !

    Lauren ne se laisse pas départir de son calme, ignorant la remarque d'Abel. Elle doit lui expliquer qu'il s'est écoulé une trentaine d'années depuis le moment où le professeur Hebbingen a décidé de tester sa nouvelle formule et utiliser la méthode de cryogénisation en attendant de trouver le vaccin qui guérirait Abel du mal incurable qui le ronge de l'intérieur à petit feu . La tâche ne va pas être aisée et difficile à expliquer. Abel est à la fois faible sur le plan physique et sur le plan mental.
Lauren cherche les mots qui seraient susceptibles d'épargner autant que possible Abel. Il n'a apparemment aucun souvenir de ses dernières heures d'éveil avant sa conservation dans un caisson d'hibernation pour sa guérison. Comment lui annoncer l'expérience inédite que l'on a pratiqué sur lui ? Lauren part finalement de mots simples et décide de se lancer dans le vif du sujet.

— Cela me chagrine beaucoup que tu ne me reconnaisses pas, Abel. Mais en réalité cela n'a rien de surprenant, dit-elle d'une voix douce. Ton état était on ne peut plus critique lorsque nous avons décidé de t'inclure dans le nouveau programme.

    Abel la regarde, éberlué. Il a l'impression qu'on lui parle en hébreux. Il ne comprend rien des allusions de cette femme. Son regard va du médecin aux deux femmes en combinaison pour se poser finalement sur cette femme qui se fait passer pour Lauren.

— Nous sommes en 2120 ! lâche-t-elle tout à coup.

    Abel est estomaqué par cette révélation. Il scrute son interlocutrice comme s'il cherchait à déceler une nouvelle information susceptible de l'éclairer un temps soit peu.

— Que racontez-vous ? Vous dites n'importe quoi ! explose-t-il décontenancé.

— Tu as eu un accident en voulant poser ton astronef sur terre quand tu es parti à la recherche de nos origines en octobre 2090, fit-elle impavide. Et tu étais gravement malade, tes jours étaient comptés, nous n'avions pas de temps à perdre.

— Malade ? dit-il confus.

— Il se trouve que tu as contracté le virus de notre père, un virus étranger sur terre. Ce serait trop long à t'expliquer pour le moment. Le plus important pour l'instant est ton implication dans un programme expérimental qui a débuté en février 2091 et qui s'achève aujourd'hui, du moins pour toi, le 19 mars 2120.

    Le visage d'Abel se décompose. Il regarde son entourage, désemparé, et finit par poser sur cette femme un regard où se lisent la terreur et le désespoir. Il ne peut concevoir un seul instant que trente années se sont écoulées, années durant lesquelles il n'a pas eu conscience de la réalité. « Quelle expérience a-t-on pratiqué sur lui ? » se demande-t-il perplexe.

— J'imagine ce que tu peux ressentir, Abel. Nous avons agi pour ton bien. Tu serais mort aujourd'hui si tu n'avais pas participé à ce programme.

— Mais de quel programme s'agit-il donc ?

— Il est encore prématuré pour t'en parler maintenant. Tu es encore faible. Tu dois d'abord te reposer et nous en reparlerons demain lorsque tu seras d'attaque.

— Mais ...

— Non Abel, pas aujourd'hui , répond Lauren d'une voix lénifiée.

    Abel, en voyant Lauren s'éloigner, se sent désespérément seul. Il n'a personne à qui se fier ou se confier. Même cette femme qui, à priori, semble être réellement sa sœur, est pour lui une inconnue. « Tant de choses peuvent changer en trente ans ! » songe-t-il désorienté.



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